Interview "Le Monde" - Philathélie au quotidien
Florence Gendre : « Les jeunes ne savent même plus remplir une enveloppe, alors coller un timbre… »
Concernant l’avenir de la philatélie, l’artiste constate que le problème ne se situe plus au niveau du timbre, mais au niveau de la façon de communiquer, qui a été totalement révolutionnée, alors que la quasi-totalité du courrier est dématérialisée.
Billet de blog
Pierre Jullien
Publié le 16 septembre 2020 à 12h01 Temps de Lecture 4 min.
L’illustratrice Florence Gendre est née à Lyon en 1959 d’une famille d’artistes. « Une arrière-grand-mère qui peignait, une grand-mère qui a fait les Beaux-arts de Lyon dans les années 1920, une mère relieuse, un père restaurateur d’automates… Très jeune, elle est initiée par sa grand-mère avec qui elle passe des heures à observer les maîtres anciens : les natures mortes hollandaises, les peintures de Joachim Patinir, la finesse du trait de Hans Holbein », explique Denise Pion sur le blog ProntoPro.
Florence Gendre étudie le dessin à Paris – école Penninghen, puis les Arts Déco (Ensad, promotion 1984). Elle précise sur son site Internet : « Le dessin à la mine de plomb sur calque reste ma technique favorite et me permet d’apporter, “step-by-step”, un luxe de détails, de précisions pour évoluer vers une belle finesse de trait. Je me passionne pour la calligraphie et le dessin de lettre, qui se marient parfaitement à mes illustrations. Et maintenant pour l’aquarelle botanique, suite logique de mes amours pour la science et l’exactitude du dessin ».
Ses sources d’inspiration ? Dans le désordre, et dans des registres très différents : Vladimir Velickovick, Gnoli ou Ernst Haeckel, Agathe Haevermans, Margaret Best, Ann Swan, Dulce Nascimento, Vincent Jeannerot…
Illustratrice free-lance, elle travaille pour des agences de publicité, la presse, l’édition, dans le domaine du luxe pour des maisons comme Chanel, Dior, Cartier, Guerlain, Vuitton… ou pour La Poste depuis 2016, avec un timbre à l’effigie du Prix Nobel de physique Georges Charpak (1924-2010).
Son dernier timbre est paru en juillet, pour les « 800 ans de la cathédrale d’Amiens », gravé par Line Filhon et imprimé en taille-douce. Elle est aussi l’auteur d’oblitérations grand format illustrées et de timbres de distributeur (libre service affranchissement/Lisa), comme pour le Salon philatélique de printemps en 2017 à Paris (représentant le moulin de la Galette, la place du Tertre et le Sacré-Coeur).
Dans Del. & Sculp. de novembre 2019, le bulletin de l’association Art du timbre gravé, Florence Gendre signe un texte – une véritable profession de foi – où elle raconte un voyage récent au Brésil, dont témoigne son compte Instagram, « sur les eaux noires du Rio Negro », « sur les traces de l’exploratrice et illustratrice botanique Margaret Mee » (1909-1988), un voyage qui lui est « apparu comme le rêve absolu. Dessiner, voyager, observer et découvrir la faune et la flore, toutes mes passions réunies ». L’artiste y décrit le processus de création – brouillon, esquisse, aquarelle -, confrontée à l’environnement local : « Le papier et l’aquarelle ne réagissent pas du tout comme d’habitude : l’hygrométrie avoisine les 80 %, il me faudra trois jours pour m’adapter ! ».
Florence Gendre prépare une exposition virtuelle, pandémie oblige, d’aquarelles botaniques à la Anderson Gallery de la Bridgewater State University (Etats-Unis), ainsi qu’une exposition « savoir-faire » au Muséum national d’histoire naturelle à Paris.
Quel est votre timbre préféré parmi ceux que vous avez créés ?
Florence Gendre.- Je crois que c’est le premier que j’ai réalisé : le portrait de Georges Charpak, en 2016. J’ai été tellement honorée d’être sollicitée par Phil@poste pour créer un timbre, de plus pour ce physicien extraordinaire. Et puis, il y a un peu d’or sur ce timbre !
Selon vous, qu’est-ce qu’un timbre « réussi » ?
Un timbre réussi doit marquer l’esprit et valoriser son sujet.
Un timbre réussi est-il nécessairement « beau » ?
Pour moi oui, le timbre est une petite œuvre d’art.
Quel est le plus beau timbre dont vous n’êtes pas l’auteure ? Avez-vous un « modèle » de timbre ?
Beaucoup de timbres sont de pures merveilles, je ne saurais donner une référence, mais il y en a un qui m’a marquée : « La Fête du timbre. Le tango », de Christophe Laborde-Balen, paru en 2015. Je l’ai vu sortir de l’impression à Boulazac, le contraste des couleurs et la force de ce timbre m’ont impressionnée.
Cependant, je n’ai pas de « modèle » de timbre ! Comme dans la peinture, certains me touchent par leur graphisme, d’autres par une réalisation extraordinaire en dessin ou en gravure. Par goût, j’aime les sujets sur la nature, l’architecture ou qui expriment un savoir-faire.
Quel souvenir gardez-vous des circonstances de la réalisation de votre premier timbre ?
Une très grande fierté et un réel plaisir de travailler sur une si petite surface pour exprimer tant de choses !
Comment pourrait-on dynamiser ou moderniser l’image du timbre pour lui donner une chance de séduire un plus jeune public ?
La question est vraiment importante, les jeunes étant beaucoup sur les réseaux sociaux, c’est peut-être un moyen de les sensibiliser, mais aussi par la transmission des philatélistes actuels à leurs enfants, petits-enfants…
Le combat est-il perdu d’avance ?
Malheureusement, le problème ne se situe plus au niveau du timbre, mais de la façon de communiquer qui a été totalement révolutionnée. La quasi-totalité du courrier est dématérialisée. Les jeunes ne savent même plus remplir une enveloppe, alors coller un timbre…
Accordez-vous de l’importance à la technique d’impression du timbre ? (taille-douce, offset, hélio, gaufrage, typographie, etc.) ?
L’impression est primordiale, un timbre bien interprété par un graveur ou bien imprimé prendra toute sa créativité et au contraire la perdra si les valeurs et les couleurs ne sont pas respectées.
Quel thème proposeriez-vous si vous aviez « carte blanche » pour un timbre ?
Toujours les sujets que j’affectionne : la faune, la flore ou la technologie !